Les visages burinés de Vhils

Œuvre peinte et martelée de Vhils, Boulevard Vincent Auriol, Paris 13e

La plupart des artistes de street art rajoutent une couche supplémentaire (de peinture en bombe ou au pinceau, de papier collé, de mosaïque, etc.) sur un mur vierge ou une œuvre déjà existante. Vhils, lui, s’est fait connaître en adoptant exactement une technique inverse, qui consiste à utiliser comme support les différentes strates accumulées dans le temps, par la construction et la rénovation des bâtiments, ou par les affiches de publicité, qui recouvrent parfois sur plusieurs millimètres, certaines façades et espaces d’affichage autorisés.

« Je cherche à créer à partir de la destruction. »

Utilisant cette réalité, qui nous renvoie à la belle image de ville-palympseste, il crée des œuvres urbaines volontairement « durables », dans la limite des remodelages des villes où il intervient. Mais c’est surtout sa démarche presque archéologique, à l’inverse d’une accélération vers le futur, qui fascine le spectateur. Comme si, telles des icônes modernes et banales, ses visages géants habitaient déjà les murs qu’il travaille, en attente d’être révélés à nos yeux de citadins blasés et incrédules. Ce gigantisme figuratif n’est pas une exception dans la paysage du street art. On peut aussi y voir ce paradoxe : alors que notre société semble se déshumaniser, de nombreux visages, inconnus, inquiétants, tendres, familiers et parfois célèbres de l’humanité, viennent s’inscrire, d’une manière subliminale et ici presque éternelle, sur nos murs…

Œuvre martelée de Vhils, 85 rue Philippe Girard, Paris 18e

Vhils, de son vrai nom Alexandre Fartoné, est né en 1987 à Lisbonne. Suite à la Révolution des œillets en 1974, le Portugal post-Salazar était encore largement sous développé. Lors de son intégration progressive au projet européen (entrée dans l’Union Européenne en 1986), la modernité marchande s’est violemment confrontée aux vestiges du passé rural et colonial du pays. C’est en fonction de ce contexte que Vhils, alors très jeune, explique son positionnement artistique et philosophique :

« Notre pays était contrôlé économiquement et politiquement pendant soixante ans, et soudain les gens ont commencé à utiliser les espaces publics pour communiquer. (…) Plutôt que d’ajouter moi-aussi de nouvelles couches,  j’ai travaillé ces couches de l’histoire pour en faire le reflet de ce qui a déterminé notre identité. (…) J’ai travaillé les murs pour révéler les entrailles de la ville, en la creusant. Sculpter la ville, tout comme la ville nous sculpte, et comme nous la sculptons aussi. »

Les œuvres de Vhils sont des apparitions qui nous rappellent qu’au delà des changements constants que notre hyper modernité impulse, une mémoire, en dehors des bases de données virtuelles, existe vraiment. Il suffit de la réactualiser en la faisant affleurer sur les murs de nos villes. Par le fait même de leur manifestation épisodique, ces personnages sereins et bienveillants, suffisent à rassurer le passant sur l’existence d’un passé qui rééquilibre la fuite en avant Hi Tech et le réinstalle dans le présent : présence de la surprise visuelle, de la contemplation, du questionnement…

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On pense à la démarche de Gordon Matta-Clark dans les années 70. Plus radical, cet artiste américain a développé le concept d’Anarchitecture. Pendant le chantier du futur Centre Pompidou dans le quartier Beaubourg en 1975, assisté de son équipe, il réalisa une œuvre éphémère, Conical InterSect (Building cut), en perçant un cône dans un immeuble ancien voué à la démolition. Articulant espace public/espace privé, cette sculpture du vide semblait observer le chantier en cours, comme un œil minéral surveillant la ville ; inversement, cet œil de bœuf géant permettait au regard des passants d’entrer indiscrètement dans la structure même du bâti… Élaborée par un processus de destruction et mettant en scène un double aveuglement – que la vidéo originale, en lien ici met très bien en évidence –  l’œuvre fut elle-même détruite quelques semaines plus tard par les grues.

Borders/Pakistan, Alain Declercq, 2010

L’artiste contemporain Alain Declerc, tout en développant les thèmes de l’oppression, de la paranoïa et de la subversion du pouvoir par les forces de l’ordre – ce qui le fait parfois passer pour un activiste politique – travaille lui aussi à partir de la destruction partielle de son support. Il utilise par exemple l’impact de balles réelles pour graver des œuvres sur bois ou matériau composite. Retournant la violence des armes à feu afin de réaliser des bas-reliefs impromptus, ses sujets s’appuient en général sur les paradoxes de la politique-spectacle ou d’une actualité conflictuelle. On peut voir ci-dessus Borders/Pakistan, exposé en 2011, au Centre Pompidou, à l’occasion de Paris-Delhi-Bombay. Il s’agit d’un cliché pris lors d’une exploration de la frontière Inde/Pakistan, reproduit en grand format à l’aide de 12 500 impacts de balles sur trois panneaux de mélaminé noir. « Le motif, simplifié, livre quelques clefs de lecture d’une image de frontière : un mirador, ou encore une clôture, renforçant la violence sourde qui émane de l’œuvre. » Le travail puissant d’Alain Declerc a donc une parenté formelle celui de Vihls : les deux artistes « abîment » et violentent leur support, en le sculptant grossièrement à l’aide d’outils non conventionnels ; ils y font également apparaitre des images issues de notre réalité, directement inspirées par la photographie. Ci-contre, un portrait de Berlusconi par Alain Declercq.

Pourtant, en comparaison, le travail de Vhils nous entraine dans une poésie de la nostalgie. Abandonnant son matériau de stuc, d’enduit, de briques et de ciment, il a récemment travaillé avec un matériau contemporain, issu de la construction : le polystyrène. Comme les affiches redécoupées, cette nouvelle orientation dans son travail lui permet d’exposer ses nouvelles créations en galerie, en même temps qu’il y fait entrer l’idée du gigantisme des grandes métropoles.

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De son vrai nom Alexandre Farto, VHILS est un street artiste portugais (né en 1987). Il acquiert une reconnaissance internationale lorsque l’une des ses œuvres, un portrait gravé sur un mur, est exposé au côté d’une œuvre du street artist Banksy au Cans Festival de Londres en 2008. Une photographie qui le représente réalisant son œuvre fait alors la une du journal The Times.

Par la suite, ses œuvres sont exposées par l’agent de Banksy, Steve Lazarides. Plusieurs de ses œuvres figurent dans Outsiders, un ouvrage sur le street art publié par Century en 2008. Il est également exposé chez Vera Cortes à Lisbonne et à la galerie Magda Danysz (dernière exposition « Entropie » du 23 Juin 2012 au 28 Juillet 2012). Il vit et travaille à Londres et Lisbonne.

Wikipedia

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Murs de Vhils réalisés à Paris :
Rue Pajol / Rue Riquet, Paris 18è
85 rue Philippe Girard, Paris 18è
Boulevard Vincent Auriol, Paris 13è
177 Rue du Chateau des Rentiers, Paris 13è
11 rue Chardon Lagache Paris 16è

Pour réaliser ce post, les informations d’Hugo Vitrani m’ont été précieuses. La première vidéo et les citations sont extraites de son article sur Médiapart.

Plus d’œuvres de Vhils à voir également sur le blog Un œil qui traine

Florent Hugoniot

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